Terreiro Ilê Axè Atará Magba

40min34

Célébration des Ayabás. Candomblé. Afro Brésil. Mère-de-saint Gisèle Omindarewá. Santa Cruz da Serra. Baixada Fluminense. Rio de Janeiro. Novembre

Terreiro Ilê Axè Atará Magba

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Célébration des Ayabás. Candomblé. Afro Brésil. Mère-de-saint Gisèle Omindarewá. Santa Cruz da Serra. Baixada Fluminense. Rio de Janeiro. Novembre

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Fête des Ayabás au terreiro de la Mère Gisèle Omindarewá

 

Le bleu des yeux, les mers et océans maintes fois traversés à la recherche d’elle même, les signes ne laissaient pas l’ombre d’un doute : Gisèle Cossard ne pouvait être que la fille de l’Orixá des océans, Iemanjá. Le blanc de sa peau, le bleu de son regard débordant d’une profonde dignité et d’une infinie tendresse. Et cette envie incessante de nourrir son prochain. Gisèle est notre bénédiction.

“Je n’ai pas choisi. C’est Iemanjá qui m’a choisie”

Mère Gisèle Omindarewá

“La Française”, comme on surnomme Gisèle aux alentours de Rio de Janeiro, naquit au Maroc quand ses parents y habitaient. Elle passa son enfance et son adolescence dans la France de la Seconde Guerre Mondiale : elle vit son père se faire arrêter avant d'être déporté en Allemagne et sa maison être transformée en abri clandestin. Et parmi ceux qui l’ont fréquentée, il y avait Jean, son futur mari, qui partagerait avec elle son nom de famille, Binon, ainsi que deux enfants et d’importantes traversées vers l’Afrique et le Brésil. Quand elle avait 27 ans, Jean Binon fut nommé Directeur de l’Éducation au Cameroun, qui était encore une colonie française. Dix ans plus tard, il assumait le poste de Conseiller Culturel à l’ambassade française à Rio de Janeiro. Ces errances, rythmées par les changements d’adresse de son époux d’alors, semblaient également la traverser intérieurement, et faire germer en elle qui appartenait à tant de pays différents, les prémices d’une nouvelle façon de voir la vie.

Ses engagements diplomatiques consistaient en une série de rencontres culturelles, où elle cherchait la plus grande authenticité. Dans son salon de Rio de Janeiro, elle organisait des dîners “à la brésilienne” où elle servait des plats locaux et conviait des artistes brésiliens. Avec l’aide d’amis comme Abdias Nascimento, Gisèle se mit à pénétrer des mondes, des univers et des cercles qu’elle n’allait plus jamais quitter.


“Il y a deux Brésils : le Brésil de la société et le Brésil du peuple”

Mère Gisèle Omindarewá

Proche de l’Art et du peuple, le candomblé lui apparut comme une religion où elle se sentait à l’aise, et, à l’insu de son milieu bourgeois comme de sa famille, elle commença à fréquenter des terreiros pour assister aux rituels. Elle n’était qu’une admiratrice discrète jusqu’à ce fameux jour de 1960 lors d’une fête de Iansã, quand sa vue s’obscurcit et ses jambes se mirent à trembler. Elle se réveilla avec la certitude et la peur d’un mystère qu’elle ne pouvait plus contrôler.

“Quand un orixá te possède,

tu es à la fois conscient et inconscient.

En tout les cas, ta vision devient différente de la norme”

Mère Gisèle Omindarewá

Fille de Iemanjá, elle embrassa l’invisible et fit son “initiation de saint” (fazer o santo), initiée à la foi du peuple noir du Brésil par le Père Joãzinho da Goméia. C’est lui qui la baptisa Omindarewá, “l'Eau Claire” qu’évoque sa peau blanche et européenne. Une chose était certaine: l’Axé était en elle.

Des mois après son initiation, Omindarewá dû retourner en France : c’était la fin du mandat de son époux au Brésil. Même sur l’ autre continent, elle poursuivit son chemin vers l’Axé : elle divorça, elle commença une recherche sur les orixás à la Sorbonne et publia une thèse en anthropologie sous la direction du sociologue Roger Bastide et avec l’aide de son ami, le photographe Pierre Verger.

“Quelle femme blanche et étrangère aurait pu imaginer connaître un jour le candomblé vu de l’intérieur?”

Mãe Gisèle Omindarewá

Dans les années 70, elle réussit à revenir à Rio de Janeiro comme conseillère pédagogique au Service Culturel Français. À cette époque, c’est Verger qui lui présenta son deuxième maître, Père Balbino Daniel de Paula, de la nation Ketu : il lui enseigna plusieurs rituels et l’encouragea à transformer sa maison dans la région de Rio en terreiro, le Terreiro Ilé Asé Atará Magbá, inauguré en 1973.

Son village est situé à 40 Km du centre de Rio de Janeiro. Riche d’une grande biodiversité, il est habité aujourd’hui par une population modeste, dont une partie de la  jeunesse partage son temps entre le trafic de drogues et la foi évangélique. Entre les murs blancs qui entourent le terreiro, l’élégance et le savoir d’Omindarewá se révèlent dans les moindres détails. Sur le terrain où elle vit, Mère Gisèle, la Française connaisseuse des remèdes ancestraux, des herbes sacrées, cultive les plantes et élève les animaux pour les rituels du candomblé : lors de ses nombreux voyages en afrique, elle a collecté et échangé des graines et des recettes avec de nombreuses autres mães et pais de santo. Autour de sa maison, où chaque orixá dispose d’une chambre pour recevoir des offrandes, la Mère a constitué une communauté de 300 filhos de santo au fil de ses quarante trois ans d’Axè. Souvent, on lui rend visite pour qu’elle consulte l’Ifá: les réponses précises que l’on obtient au moyen de ce jeu ancestral de divination par les cauris la quitte rarement.

“Au Brésil, tout a une raison spirituelle”

Mère Gisèle Omindarewá

On note le soin qu’elle porte aux tissus africains dont elle se pare tous les jours; avec respect et révérence. “La Mère Française” fait attention à chaque détail pour ses rituels.

La maison se remplit une fois par an pour la fête des yabás, l’une des célébrations les plus importantes du candomblé qui a lieu en décembre. C’est un célébration consacrée aux  orixás féminines, comme Oxum et Iansã,  Iemanjá et Nanã qui reçoivent comme cadeaux les offrandes correspondants à leur nature : les plateaux de fruits symbolisent la fertilité, les atabaques jouent pour les saints, et les guerrières arrivent, une à une, révélant un alignement qui n’a de sens que si l’on sait sentir.

Oxum arrive parée de ses plus beaux habits, Iemanjá danse et apporte la nourriture aux convives , Iansã est le vent qui fait tourner la roue. Eau Claire, Mère Gisèle, à la peau si blanche et au toucher si noir, déborde de lumière. C’est Iemanjá,  la mère de tous les Orixás et de tous leurs fils. Elle est la prospérité incarnée en un corps qui a su corriger sa destinée et guérir les coeurs. Elle est le bleu des yeux de la Française, après plus de neuf décennies de mystère, elle est la main claire et ridée par les multitudes d’envoûtements cueillis sur les arbres de tant de territoires.


“Voici l’idée principale : cesser de penser, cesser de vouloir savoir le pourquoi de ceci ou cela.

Laisser les choses circuler d’elles-mêmes”

Mãe Gisèle Omindarewá

Elle déborde.  Elle s’appelle Gisèle, Binon hier, Cossard aujourd’hui. Mais avant toute chose, elle est Omindarewá. Une femme, une mère qui a dansé Iemanjá, la mère de tous les Saints, une dernière fois à l’occasion de cette ronde. Mais elle est l’eau, le flux continu qui ne cesse jamais, qui se transforme en une fontaine de foi, dans un mélange de couleurs, une aquarelle de l’étreinte. Ses yeux sont devenus source, rive, abri, un sort contre la soif. C’est Eau Claire qui déborde.

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