Jurema Sagrada
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Jurema Sagrada (Jurema Sacrée). Afro-Brésil. Cultures amérindiennes. Quilombo Culturel Malunguinho. Rencontre Nationale des peuples de la Jurema. Alexandre L’Omi L’Odò et Ricardo Nunes. Quilombo de Catucá. État du Pernambouc. Des millénaires de Jurema. 12 ans de cérémonies. Plus de deux mille participants au rituel
Jurema Sagrada
On trouve des acacias partout dans le monde, mais cette espèce de mimosa - le Mimosa Tenuiflora ou Mimosa Nigra - pousse dans une région que les cartes actuelles placent entre les états du Paraíba, du Pernambouc et du Rio Grande do Norte. Tout ce qui vit dans l’agreste et dans le sertão du Nord-Est doit avoir des racines profondes, pour pouvoir trouver de l’eau et survivre. Dans ces régions du Brésil, les très longues racines permettent aux arbres de vivre plus de deux cents ans, gardiens d’un secret d’une science millénaire.
“Une feuille de Jurema est tombée,
La rosée est venue et l’a mouillée,
Et ensuite, et ensuite,
Le soleil est venu et l’a séchée,
Et la Jurema a fleuri de tout son être”
Chant de résistance de la Jurema Sagrada
Dans le breuvage qu’on prépare avec la Jurema, il y a, en plus de ses racines, des écorces, du miel, du gingembre, de la menthe, des clous de girofle, de la cannelle, mais aussi les mystères de l’au-delà. Même si les spécialistes disent que le breuvage ne provoque aucune altération de la conscience, si les sciences n’arrivent pas à attribuer un sens aux effets de la Jurema, la longue expérience du rituel nous révèle les raisons qui font de cette plante un symbole du sacré pour la sagesse millénaire des amérindiens : c’est sa participation à la tradition du catimbó, son insertion dans une technologie indigène, un pont ancestral construit entre les peuples Tabajara, Potiguar et Cariri.
“Nous buvons la Jurema pour aller dans un autre monde
et pour que cet autre monde vienne à nous aussi”
Alexandre L’Omi L’Odò
Alexandre L’Omi L’Odò est le créateur et l’un des responsables pour la réalisation du Kipupa Malunguinho-Coco à Mata do Catucá, dont la première édition a eu lieu en 2006. Mais la Rencontre Nationale des Gens de la Jurema (Encontro Nacional do Povo da Jurema) ne fait que répercuter ce qui serait, selon certains de ses pratiquants, la religion la plus ancienne sur les terres brésiliennes. Kipupa, en langue africaine kimbundu, signifie union. Et en toute évidence, la célébration de cette cérémonie fait honneur à ce nom. Chaque année, plus de deux mille personnes accourent du pays entier pour danser et chanter le coco au coeur de la forêt sacrée. Le coco qui, pour les autres religions de terreiro, signifie la construction de champs énergétiques positifs afin d’ ouvrir les portes des mondes des encantados et permet la réunion de toutes les forces des entités avec la nature pour célébrer la vie.
“J’ai trouvé ma place, oui,
Au milieu de la forêt, oui,
Vive la couronne de Reis Malunguinho”
Chant à Reis Malunguinho
L’un des principaux objectifs du Kipupa est celui de soustraire les disciples de la Jurema - les juremeiros - du béton des villes pour les emmener au quilombo de Catucá, terre de Malunguinho depuis des siècles. Malungo, qui en kimbundu veut dire ami, compagnon ou camarade, est à l’origine de ce terme de Malunguinho, un titre qu’on a attribué par la suite aux grandes héros noirs qui luttèrent dans l’État du Pernambouc du début du XIXe siècle pour la liberté de leurs peuples. L’expression “Reis” (rois), au pluriel, nous rappelle que nombreux ont été les Malunguinho, et que le Malunguinho Reis représente donc cette collectivité de lutte à travers la mémoire ancestrale.
Véritable incorporation des chefs historiques quilombolas élevés au rang de divinité, lors du rituel, le Malunguinho reçoit en offrande une énorme quantité de fruits, en guise de remerciement pour les bénédictions et les guérisons concédées à des milliers d’hommes et de femmes. C’est aussi lui qui est responsable pour l’équilibre du flux spirituel entre les juremeiros et le sacré, comme une sorte de médiateur fondamental dans le cosmos de la Jurema, en contrôlant les portes du monde spirituel : les sept villes de la Jurema, représentées par l’étoile à sept branches. Il porte des colliers de perles vertes, mais aussi rouges et noires, les couleurs d’Exu, armé de son arc et de ses flèches. Il vient muni du lance-pierre des Indiens, des caciques, des pajés et des caboclos, de son harmonica, attribut des Senhores Mestres (Seigneurs Maîtres) et couvert d’un chapeau de paille, symbole de la lutte paysanne pour la réforme agraire.
“Malunguinho descend des Rois, il est un caboclo, il est un Exu.
En même temps, il est aussi un Maître. Il est le tout”
Alexandre L’Omi L’Odò
Lors de ces cultes où les corps des participants du catimbó sont possédés par les esprits des morts et par la transe, plusieurs connexions peuvent se faire : d’abord, les voyages dans les mondes des encantados et la manifestation des Maîtres, des caboclos, des Exu, des rois, et des encantados de la Jurema. Puis d’autres entités appartenant à d’autres courants syncrétiques brésiliens entre en scène, comme les Preto velho, les Exu de l’umbanda et les Pomba Gira, entités qui ont été accueillies dans le panthéon de la Jurema au fil des échanges des Indiens avec les Africains des quilombos et dans leurs luttes communes pour la liberté.
Mais ce sont surtout les esprits des Indiens, des caciques, des pajés et des caboclos qui sont à la base du culte de la Jurema. Toutes les autres entités leur sont subordonnées. Ce sont eux ces guerriers indiens revenants, les encantados sans cesse invoqués à l’amorce des cérémonies. Ce sont des êtres spirituels envoyés dans les mondes des encantados des rivières et des forêts, et qui apportent avec eux leur infinie connaissance des herbes médicinales, des bains aromatiques et des prières.
Ce sont les Maîtres qui sont responsables de l’incorporation des esprits qui guérissent et conseillent les pratiquants. Les maîtres seraient d’anciens juremeiros : vivants, ils étaient de généreux guérisseurs. Après leurs mort, ils auraient été transportés vers l’une des sept ville mystiques, dont les entrées se situeraient chacune près d’un arbuste de Jurema : c’est ainsi quand les fidèles s’approchent des arbustes lors des rituels que les Maîtres incorporent les juremeiros.
“Va, fumée, va là où je t’enverrai,
Ne fument la pipe que ceux qui savent la fumer”
Chant des cérémonies de la Jurema Sacrée
Autre élément central de tout rituel de Kipupa et de la Jurema, le tabac et les herbes que l’on fume jouent un rôle essentiel : c’est par la fumée que le juremeiro obtient ce qu’il désire : quand il veut quelque chose, il prend sa pipe, tire la fumée par le bec puis la recrache par le foyer. Alors, celle-ci s’envole dans la direction du problème qui doit être résolu.
L’autre icône du juremeiro, c’est sa maraca. Ce chocalho d’origine indigène fait d’une calebasse entre en harmonie avec le ilú, un tambour traditionnel du Pernambouc et ensemble ils viennent remplir l’espace sonore où se célèbrent toutes les rencontres.
D’une certaine manière, les guérisseurs (pajés), les disciples de la Jurema et ceux du catimbó sont des prêtres et des prêtresses qui depuis toujours veulent chercher plus loin afin de provoquer ces rencontres entre leur monde et ceux des autres. La science de la Jurema commença avec les peuples natifs et très vite se mis à inclure les exclus qui cherchaient à se libérer : les esclaves africains firent l’heureuse découverte des villages des Indiens ainsi que la Jurema qui leur donna l’intuition de fuir dans la forêt pour y fonder les quilombos. Tout comme les tsiganes, les homosexuels, les pratiquants de la magie européenne, de celle des pajés, les adeptes du catholicisme populaire, de l’ésotérisme moderne, de la psychothérapie psychédélique, du christianisme ésotérique, tous ceux-là marchent pour l’union.
“Les Juremeiros sont des médecins de l’âme,
et la Jurema est l’hôpital du Nord-Est”
Alexandre L’Omi L’Odò
Source de guérison, le catimbó glorifie le savoir divin des écorces et des feuilles, des semences des arbres sacrés du sertão. Il soigne par des purifications, des infusions, des pommades. C’est en même temps le concret et le sacré. C’est l’invisible que l’on cueille à main nue.
Si simple, si familier, si naturel, des siècles de préjugés n’y feront rien, le Kipupa est bien trop vivant. C’est l’odeur du thé de nos grands-mères sur la table du jardin, c’est le son du clapotis de l’eau qui nous apaise. C’est quand l’âme embrasse le sol. C’est quand la fumée a fait le tour du monde et nous apporte les bonnes nouvelles venues de loin.
entretien
Alexandre L'Omi L'Odò & Ricardo Nunes
18:04
entretien
Alexandre L'Omi L'Odò
12:14
entretien
Ricardo Nunes
05:18