Igreja Nossa Senhora do Rosário dos Pretos
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Église de Notre Dame du Rosaire des Hommes Noirs du Pelourinho. Messe syncrétique. Catholicisme. Candomblé. Afro Brésil. Fraternité de Nossa Senhora do Rosário dos Homens Pretos. Salvador. Bahia. Construite au XVIIIe siècle.
Église de Notre Dame du Rosaire des Noirs du Pelourinho
"En quatre siècles, ces gens de Bahia ont voué à leurs saints quelques 228 églises et chapelles (...). Y abondent l'or en feuilles, les marbres de couleur, les bois sculptés. Pourtant, s'il fallait louanger la vraie matière et richesse de la ville, ce n'est pas d'or que ses autels devraient etre revêtus mais de cette terre argileuse et grasse et noire qu'on appelle 'massapé' qui engendra la canne à sucre qui engendra le moulin qui engendra l'extermination des Indiens qui engendra la traite africaine qui engendra la prospérité qui engendra la caste des donateurs qui édifièrent finalement à la gloire du Très-Haut et de ses serviteurs, les églises de Bahia." *
Esclaves au Brésil, les Noirs n’avaient pas le droit de croire. Leur foi était contrôlée car considérée comme dangereuse : quand ils se reconnectaient à leurs croyances d’Afrique, ils étaient plus forts et créateurs vis à vis de ce que le système pouvait accepter d’eux. Par ailleurs, s’ils souhaitaient participer aux cultes de leurs maîtres, ils devraient partager le même espace que les Blancs. Ce qui était impensable.
“Un nouveau jour arrivera,
Un nouveau ciel,
Une nouvelle terre,
Une nouvelle mer”
Chant de louange lors de la messe
Mais il fallait survivre à toutes ces restrictions : tous les jours, ils mettaient en oeuvre leur inventivité pour imaginer des mondes invisibles dans lesquels il serait possible de cultiver l’espérance. Les souvenirs du christianisme au Congo et en Angola, surtout, ressortaient du fond des mémoires afin de former des répertoires inventifs pour le quotidien. Puis on misa sur l’inventivité : des femmes et des hommes commencèrent à cueillir des graines qu’on appela les "Larmes de Notre Dame", ou même à en ramasser à même le sol, pour fabriquer leur propre rosaire et à mesure qu’ils enfilaient une à une les semences, répétaient les litanies qu’ils écoutaient à la sortie des églises.
Au XVIIe siècle, ils essayaient déjà de joindre leurs voix à ceux qui venaient vénérer Notre Dame du Rosaire. Dans la ville de São Salvador da Bahia, les Noirs se réunissaient alors près d’un autel dans le quartier de la Sé. En ces temps-là, les besoin d’appartenance et d’auto-organisation ont poussé les femmes et les hommes africains et afro-brésiliens à s’organiser en groupes de résistance et de solidarité : les confréries sont apparues comme des constructions humaines, des lieux dotés de murs imaginaires, affectifs, où dorénavant ils allaient pouvoir se rencontrer.
En 1685, la Confrérie de Notre Dame du Rosaire est entrée en activité à Salvador, en promouvant des réunions autour des autels latéraux des chapelles et des couvents : Il s’agit de l'une des confréries noires les plus anciennes du Brésil. Petit à petit, graine après graine, ses membres ont uni force et argent provenant de leurs petits commerces à travers la ville. En 1704, ils avaient collecté les fonds nécessaires et obtenu la permission des représentants catholiques locaux pour construire leur propre église aux environs des “Portas do Carmo” : situé à l'un des accès aux rues du Pelourinho, et donnant sur le couvent du même nom. Avec peu de moyens, mais beaucoup de détermination, les frères usèrent de tout leur temps libre pour travailler à la construction de l’Église de Notre Dame du Rosaire des Noirs. La façade du temple n’a pu être finie que longtemps après, en 1780.
“Sur la terre nouvelle,
Le Noir n’aura plus de chaînes
Et les Indiens
Seront vus comme des humains”
Chant de louange lors de la messe
Chaque minute de l’énergie investie, il y a trois siècles, résonne encore. Bien au-delà des murs impossibles qu’ils souhaitaient ériger pour abriter leurs espoirs, les croyants noirs construirent un véritable pont entre le catholicisme et le candomblé. L’image de Notre Mère du Rosaire est Blanche, mais Saint Benoît et Sainte Iphigénie sont Noirs, ainsi qu’une bonne partie des rituels de ce temple où l’on célèbre la possibilité d’une identité noire au sein du catholicisme romain. Une identité qui renvoie bien sûr au Vatican, mais aussi et surtout à l’Afrique, à Bahia.
Les larmes viennent aux yeux quand on entend les atabaques et les gonguês, les instruments qui marquent le temps du maracatu du Pernambouc, et qui servent de fond sonore à l'homélie du prêtre, homme du Seigneur Jésus. Les colliers de cauris, enfilés sur les poitrines, semblent annoncer fièrement que la présence des caboclos et des orixás est la bienvenue sur cette portion de sol foulée par des pieds qui ont su se délivrer d’autant de chaînes. En guise d’échange, on offre des paniers d’offrandes au Saint-Esprit. L’Axé s’invite et vient danser dans les pieds et les corps de ces gens vêtus de blanc. Les frères de couleur pensaient juste bâtir une église, ils en ont fait un exemple d’union pour l’humanité.
* Pierre Joffroy, Petite Planète Brésil